Achevée en 1519, l’oeuvre de Sebastiano del Piombo portait jusqu’à la dernière restauration la date de 1521: il s’agit sans doute de la date de son envoi de Rome que Sebastiano a tenu à indiquer ainsi que sa double appartenance aux écoles de Venise et de Rome: “Sebastianus Veneti Faciebat Roma MDXXI“.
En 1521 donc, la Visitation prend le chemin de la France comme la Résurrection de Lazare, peinte simultaneément et destinée par Giulio de Médicis, futur pape Clément VII, à son palais épiscopal de Narbonne. Cette dernière est aujuourd’hui conservée à la National Gallery de Londres, alors que la Visitation est toujours demeurée l’un des fleurons des collections royales puis nationalales françaises. Vasari signale encore trois autres tableaux de Sebastiano del Piombo envoyées an France: les portraits de Catherine de Médicis, nièce du Pape et future reine de France, Clément VII, et Julie de Gonzague.
Technique originale. Des traces du support de bois original
Le support de bois original ayant disparu, à la suite d’une transposition au début du XIX siécle, la radiographie ne peut donner que quelques indications sur le support d’origine: il pourrait s’agir d’un panneau composé de 3 ou plus vraisemblablement de 4 planches de fil vertical.
Le Louvre possède un autre tableau de Sebastiano del Piombo, La Sainte Conversation, Sainte Famille avec Saint Sébastien, Sainte Catherine et un donateur qui date des années vénitiennes de la jeunesse du peintre autour de 1508-9. Le tableau a conservhé son support de bois d’origine mais d’une construction différente: les planches sont disposées horizontalement.
Les coupes stratigraphiques ont été réalisées essentiellement pour comprendre la metière picturale très bouleversée par les restaurations successives. Ces quelques prélèvements ont cependant permis de caractériser très sommairement la technique du peintre. Les èchantillons, malgré leur nombre réduit et l’état très endommagé du tableau sont conformes aux données dèjà connues sur la technique de l’artiste et notamment à la description qu’en donne Cesare Brandi dans son article sul la restauration de La Pietà de Viterbe: une préparation épaisse composée d’un gesso au sulfate de calcium de couleur jaunâtre, sur le quel est passé une couche claire gris beige, riche en blanc de plomb puis une couche colorée à base d’ocre rouge, exemple précoce d’une seconde préparation colorée dont l’usage se developpera en Italie au XVI siècle,
Le bleu de la robe d’Elisabeth est un outremer naturel mélangé à du blanc de plomb et étendu sur cette couche à base d’ocre rouge.
Le jaune de son manteau est particulièrement raffiné: il est peint en deux couches sucessives, la première est constituée de blanc de plomb et de dolomie colorée par une ocre jaune transclucide, la seconde de plomb et d’étain de variété 1, ou giallorino particulièrement lumineux.
Le cliché infrarouge dévoile le processus créatif très sûr de l’artiste et ne montre que quelques repentirs modestes au niveau du voile de la Vierge, des mains de la Sainte femma la plus à dextre et du personnage en claire obscur qui avertit Zacharie.
Copies au cabinet du Roi à Fontainebleau
La Visitation prend place parmi le autres chefs s’oeuvres italiens de la collection de François Ier: de Raphael et Léonard de Vinci à Andrea del Sarto. Malgré l’absence d’inventaires, sa présence à Fontainebleau est attestée dans la chapelle basse du château.
Quelques années plus tard, entre 1594 et 1600, Henri IV ordonnera de faire copier les tableaux du cabinet des bains et des chapelles afin de regrouper les originaux dans un cabinet de peintures. On sait ainsi qu’une copie de la Visitation, due à Josse de Voltingeant (actif a Fontainebleau entre 1593 et 1617) est mentionnée jusqu’en 1793.
Une autre copie du tableau a été réalisée après 1599, sur l’ordre de Sébastien Zamet, surintendant du roi Henri IV: respectant les dimensions de l’original, elle est mentionnée dans l’inventaire après décés ce dernier.
Constats d’ètat au château de Versailles
“Un tableau de Sebastien del Piombo représentant la visitation de la Vierge, et Ste Elizabeth, peint sur bois, hault de 5 pieds sur 3 pieds 10 pouces de larges, avec sa bordure dorée”: il porte le n° 6 du premier inventaire de la collection royale rédigé par le premier peintre Charles Le Brun en 1683, lors de déménagement de celle-ci au château de Versailles. Il s’agit également de la premiére mention du support de bois d’origine.
L’oeuvre figurera par la suite dans les différents inventaires rédigés par les gardes des tableaux du roi successifs. Nous nous contenterons de ne citer que ceux qui donnent des indications sur son état de conservation. Dans un document de 1763, Jeaurat, signale que “la couleur s’enleve”, c’est à dire que la couche picturale est en soulévements. Etat préoccupant qui ne fera que s’aggraver au fil des années: ainsi, Durameau, note-t-il dans son inventaire de 1788 que “la peinture se lève en cloches à deux ou trois endroits; il faut en consèquence le recoller avec toute la prudence possible pour éviter de le lever, et si cela réussit, il faudra le nétoyer bien légèrement. Bordur propre”. Il préconise donc de tenter d’abord un refixage avant d’envisager une transposition. Rappelons que cette pratique de transférer sur toile les couches picturales des tableaux dont le support de bois était trop endommagé, avait été mis aou point à grand renfort de publicité par Robert Picault en 1750 sur la Charité d’Andra del Sarto et qu’elle était pratiquée depuis en France par d’autres restaurateurs comme les Hacquin, père et fils ou Marie Jacobe van Merle dite la veuve Godefroid.
Les restaurations au Louvre
La transposition au Musée Central des Arts en 1802
La transposition redoutée par Durameau semble être devenue inévitable lorsque le tableau est intégré aux collections du Musée Central des Arts, nom donné alors à ce qui deviendra par la suite le musée du Louvre. Jean-Marie Hoogstoel (1765-1831?), peintre et restaurateur, est sollicité le 7 juillet 1801 pour “enlever” la Visitation qui a besoin de “promptes réparations”. Mais, de santé trop fragile, il décline la proposition bien qu’il se soit déjà “effectivement occupé de l’opération d’enlever des tableaux peints sur bois dans l’espérance d’en perfectionner les procédés”.
Le travail est confié à Fouque, rentoileur formé par François Toussaint Hacquin (1756-1832) le 4 mars 1802. La Visitaton n’as pas fait l’bjet d’une autre restauration de son support depuis, far Fouque, écrit Burtin, auteur d’un traité de resauration “connoît si bien son art, il l’exerce avec tant de patience e de précaution, qu’il repond de tout ce qu’il entreprend, soit pour rentoiler, sout pour enlever la couleur et la transporter sur une toile nouvelle. Tout ce qui sort des mains est uni comme une glace, sans aucun vestige des plis anciens, ni des marques du papier de rentoilage, qu’il renouvelle jusqu’à quatre et même cinq fois, s’il en est besoin! Au lieu e brûler les couleurs, come tant d’autres, il emploie ses fers si peu chauds, qu’il doit suppléer, à la chaleur, par plus de travail et par des fers beaucoup plus pesans. Peu lui importe sur quel apprêt un tableau soit peint, ni qu’il soit repeint et vernissé ou non, pourvu qu’il ne ne l’ait pas été trop récemment. Enfin, tel qu’il livre son ouvrage, celui-ci reste toujours, sans former le moindre pli et sans se décoller jamais”. Le châssis à clefs ancien, noueux, à traverses en croix encastrées à queue d’aronde est sans doute celui posé par Fouque dont Burtin vante aussi l’excellence des châssis toujours “très-bien faits”.
La transposition est pratiquée selon la méthode mise au point et décrite par Hacquin dans son rapport de restauration de la Vierge de Foligno: la couche picturale est protégée par des gazes, le support est d’abord redressé par l’insertion de flipots de bois pour réduire la courbure, il est ensuite éliminé par sciage, l’ancienne préparation est remplacée par de “la céruse broyée ° l’huile” sul laquelle sont posées d’abord une gaze puis une demi-toile. La toile de rentoilage est appliquée sur le tout au moyen d’un “mélange résineux”; elle est constituée de deux lés à couture horizontale.
Sur le revers de la Visitation, on note la présence d’un enduit clair fait de blanc de plomb et d’huile mêlé de cire, un procédé mis au point par Hacquin pour protéger les toiles de l’humidité des murs et des variations climatiques.
Restaurations picturales au Musée Napoléon en 1803 et au Musée Royal en 1825.
C’est Hoogstoel qui sera l’auteur de la restauration de al couche picturale qu’il achéve en 1803: en l’absence de rapport de restauration, il faut s’e reporter à la description du restaurateur Marchais, lors de la restauration suivante entreprise en 1825 sous la direction de Ferréol Bonnemaison, restaurateur du musée Royal.
Selon ce dernier, “le repeints qui étaient considerables avaient repoussé au noir”, ce qui sous entend que la couche picturale après la transposition de 1802 comportait de très nombreuses et très vastes lacunes restaurées avec un liant a l’huile que s’était obscurci. Pierre-Antoine Marchais (1773-1859) précise en outre dans le même mémoire qu’il a “lavé, verni et restauré à l’huile” le tableau. Il n’a employé que deux mois, juillet et août, et l’on peut légitimement se demander s’il s’est livré à la dé.restauration compléte des repeints de Hoogstoel.
En 1830, Maillot entreprendera à nouveau une “harmonisatione” de l’oeuvre.
La restauration au Louvre en 1938
La décision d’entreprendre une nouvello restauration de la Visitation est prise lors de la Commission de Restauration du 26 janvier 1938. Le musée du Louvre fait alors l’objet de grands projets d’aménagement des salles et de grandes campagnes de remise en état de collections.
La restauration est confiée à Georges Dominique Zezzos (1883-1959) entre août et novembre 1938. Le rapport ne sera rédigé qu’en février 1940 par le conservateur des peintures Germain Bazin, après que la collection des peintures du Louvre aura été évacuée au château e La Pelice: “Tableau trés ruiné, couvert de cristallisations bitumineuses et considérablement dénaturé per un vernis brun roux, soul le quel certaine couleurs, notamment le bleu du ciel, étaient indiscernables.
La restauration a rendu à ce tableau les couleurs, un peu vives des maniéristes, le restaurateur ayant estimé nécessaire de la dépouiller entièrement pour attendre les repeints.
La restitution des parties anciennes a été faite très habilement après enlèvements des repeints par le restaurateur. La signature ne contient che très peu d’original. Elle a été restituée telle qu’elle était arrivée, complétéé, jusqu’à nous”.
Bazin insiste donc sur le bouleversement chromatique opéré. Le restaurateur, un peintre d’origine vénitienne, s’il n’a pas jugé bon de retirer toutes les anciennes restaurations sous lesquelles l’original n’existait plus, a en effet estimé nécessaire d’éliminer la totalité des couches de vernis acumulées, en vertu de l’authenticité du coloris. “Porquoi ne rencontre-t-on pas souvent en peinture,un blanc à l’état pur, un bleu de ciel ou d’étoffe qui ne soit pas vert? Un mauve qui ne se dérobe avec modestie au rôle réel que le peintre lui avait laborieusement assigné?… C’est que de l’état original de la peinture on ne connaît que ce que les diverses arbitraires interventions veulent laisser deviner”, écrivait-il en mai 1938 à l’intention du directeur des musées de France Henri Verne alors en butte aux polémiques provoquées par la politique du Louvre en matière d’allègement des vernis.
Un dossier de photographies scientifiques est réalisé après restauration par le nouveau Laboratoire: un cliché en lumière directe laisse apparaîre un témoin de l’ancien vernis; un autre sous fluorescence d’ultraviolet fait ressortir les retouches de Zezzos.
L’état de la Visitation va pendant les soixante années suivantes, de 1938 à 1998, être consignée dans une “Fiche de Santé” dans la quelle sont notées, les menues interventions: dépoussiérages (1974), légers vernissages (1953, 1974), bichonnages (1955, 1958, 1975) ainsi que les remises au tons des restaurations trop voyantes (1972).
La restauration de 1999-2003
Le projet d’une nouvelle restauration est soumis à l’avis de la Commission de resauration du 3 février 1998. L’ètat de présentation du tableau est mis en cause: il avait été denoncé, à de nombreuses reprises, par les spécialistes du peintre qui déploraient, comme Michael Hirst, que le tableau ne pouvait être véritablement apprécié car il est “gravement endommagé, et c’est son état qui explique l’impression étrange qu’elle [la Visitation] donne aujourd’hui d’être plate et décolorée”.
L’aspect de l’oeuvre est “non satisfaisant en raison de nombreux repeints altérés soit ponctuels soit étendus cachant lacunes et usure importante de la couche picturale au travers de la quelle la gaze de transpositione apparaît. L’aspect mastics est mauvais: soit trop lisses, soit trop lisses, soit bosselés. vernis jaune irréguilier”. Un avis favorable est donné pour la “purification et la réintégration de la couche picturale”.
La commission recommande de s’appuyer, pur ce travail, sur des copies anciennes du tableau et sur le nouveau dossier de photographies scientifiques. Les traces des lacunes de la couche picturale originale sont mises en évidence par le cliché en lumière rasante et par la radiographie: celle-ci est peu lisible à cause du badigeon de céruse passé à l’arrière du tableau mais la densité de l’enduit de transposition est visible dans le lacunes qu’il vient combler sur une plug grande épaisseur: le muret qui porte la signature en bas à senestre, la robe de Sainte Elisabeth, le manteau de la Sainte femme à dextre manche de la vierge, la robe de Zacharie et sourtout le ciel en haut à dextre.
L’enjeu de la restauration, à la mesure de l’histoire tragique de l’oeuvre, se présentait comme un audacieux défi pur rendre au tableau une présence metérielle et retrouver le souffle puissant du génie de Sebastiano.
Un nettoyage sélectif
Comme se prédecesseurs, Jan Stefan Ortmann s’oriente vers un nettoyage sélectif et modulé de repeints. Le restaurateur établit alors une distinction entre plusieurs types de restaurations. Celles de la dernière campagna del 1938m réversibles, seront éliminées avec le vernis. Les repeints anciens seront maintenus dans la mesure où il ne recouvrent pas d’original; les plus discordants seront harmonisés tandis que les plus habiles purront être conservés tels quels.
La réintégration et le copies de Tours et de Compiègne
La réintégration confiée à Laurence Callegari est envisagée dans le respect des exigences historiques et esthétiques du vécu et du style du tableau.
Les usures nombreuses dues aux nettoyages drastiques précédents appauvrissent la matière picturale sur une très grande étendue, la partie la plus délicate étant le visage de la Vierge totalement abrasé: un travail au petit point pour combler les minuscoles interstices qui séparent les zones de matière originale sera entrepris.
Si certaines lacunes franches n’ont pas posé de problème particulier dans la raconstitution de l’image, d’autres au contraire ont soulevé un certain nombre d’interrogations, au niveau de la configuration de la colonne ou de la manche de la robe de la Vierge.
Les copies anciennes du tableau son très nombreuses. Deux d’entre elles, réputées être du XVIe siècle, sont conservées, l’une à la chatédrale Saint-Gatien de Tours, l’autre au château de Compiègne. Toutes les deux ont été apportées dans l’atelier au Louvre au moment de la phase de réintégration. L’enjeu de leur étude étaient de savoir si on puvait attribuer l’une d’entre elles aà Josse de Voltingeant afine de pouvoir s’y référer en cas d’hésitation pour les parties le plus problématiques à réintégrer.
L’étude de la stratigraphie de ces copies a montré qu’elles étaient peintes sur des préparations rouges et qu’elles étaient datables entre 1625 et 1700 en raison del la présence de certain composants, alors que la copie de Volngeant peinte au plus tard en 1600 aurait du être préparée en craie, selon le procédé habituel de l’époque.
La date tardive des copies, n’a finalement pas permis de trancher l’ambiguité de la représentation au niveau de la colonne à l’arrière qui se détache contre un mur, et non devant une autre colonne comme sur les gravures, ni au niveau des deux boutons de la manche de la robe de la Vierge che la restauratrice a préféré ne pas restituer.
Mais pour le ciel et le paysage, la copie de Compiègne a permis de retrouver la cohésion formelle des fragments d’originaux de tonalité plus claire et plus chaude que le repeints avoisinants.
Quant à l’inscription, reconsituée en 1938 d’après l’état ancien, le parti a été pris de ne pas la compléter et de s’en tenir aux lettres originales conservées “S BASTIANO EN / RO”, qui ne rappellent plus ni la date de l’expédition de l’oeuvre ni la nationalité vénitienne de l’artiste.
(Article écrit par Nathalie Volle pourle livre “Sebastiano del Piombo e la Cappella Borgherini nel contesto della pittura rinascimentale, a cura di Santiago Arroyo Esteban, Bruno Marocchini e Claudio Seccaroni (Nardini Editore)
Sebastiano del Piombo e la Cappella Borgherini nel contesto della pittura rinascimentale